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Le masque et l'auteur

« Je l'ai fait parce que je crois que c'est une figure très publique et quand les lecteurs achètent des millions de livres, je pense qu'ils acquièrent un droit de savoir quelque chose sur la personne qui a créé ces livres… je n'aime pas les mensonges ». C'est en ces termes que Claudio Gatti, journaliste italien, défend le "démasquage" de l'auteure italienne à succès se cachant sous le pseudonyme d'Elena Ferrante, fin 2016. Cet événement, bien relayé dans les médias, a provoqué une vive réaction dans les milieux littéraires contemporains, montrant ainsi la permanence de la question du pseudonyme et, par-là, celle de l'auctorialité dans le monde des lettres et d'une manière plus générale, celui des arts (le groupe Daft Punk en musique, l'artiste de rue Banksy) mais aussi celui de la critique (voir l'affaire des articles universitaires signés R.L. (Etienne) Barnett que rapporte Michel Charles sur le site Fabula).

Car, à notre époque, et ce depuis la fin du XVIIIe siècle, la règle est de faire figurer le nom de l'auteur d'une œuvre sur la page de titre : gage de reconnaissance, d'autorité mais aussi de droits. Or le flou entourant l'usage courant du terme "auteur", tantôt renvoyant à la personne qui a écrit le texte ou le livre, tantôt au personnage qui y appose son nom entretient l'équivoque et ouvre la voie à la pseudonymie. Si Henry Beyle, Romain Gary, Boris Vian, Julien Gracq et George Sand, sont quelques identités littéraires inventées parmi d'autres, certains choisissent encore l'anonymat : dans les deux cas les individus bien réels ont recours à ces pratiques pour souvent éviter de bien fâcheuses conséquences, politiques, sociales ou personnelles, avec, il faut le souligner, plus ou moins de succès.

Pour revenir à l'affaire Ferrante, si l'on en juge par les propos de l'auteure, celle-ci ne conçoit pas le pseudonyme comme un « abus d'autorité » (Martens 3) et encore moins une « supercherie » (Hamon 3) : « Je pense que les livres, une fois qu'ils sont écrits, n'ont pas besoin de leurs auteurs » (Ferrante in Sartori). Ces propos font inévitablement écho au concept de "fonction-auteur" chez Foucault pour qui l'auteur relève de la fiction, n'existe que par une historicisation et à travers plusieurs discours faisant de lui une figure d'autorité qu'il n'a, peut-être, pas lieu d'être : il remplit des fonctions historicisées variables selon le cadre culturel et historique. Or, pour Gatti, la personne littéraire et le sujet écrivant ne sont qu'une seul entité, responsable d'un délit touchant plusieurs domaines : sémiotique, juridique, économique et psychologique (Hamon 3). La disjonction personne-écrivain (Maingueneau) passe pour une supercherie, un acte malhonnête, entendu comme la violation d'un contrat de lecture tacite.

L'analyse de telles pratiques portant traditionnellement sur des textes de fiction, c'est la relation auteur-lecteur qui se voit privilégiée par la critique. Dans le cas du texte d'idées, cette disjonction peut s'expliquer soit pour des raisons liées au manque de liberté d'expression, au refus d'assumer publiquement ses idées, au rejet de la notion d'auteur ou encore à la parodie. C'est ainsi le cas des écrits "philosophiques" de Jean-Baptiste Botul. Le problème survient alors quand un véritable auteur utilise de tels textes dans des écrits sérieux, comme Bernard-Henry Lévy en fit la triste expérience en 2010. Les textes référentiels posent un autre problème : dans le cas d'une autobiographie ou d'un récit de voyage, la relation identitaire posée entre la personne, l'auteur et le narrateur conditionne la vérité des faits, expériences et événements rapportés. Le recours au pseudonyme ou à l'anonymat laisse ici planer un doute qui conditionne la lecture du texte et qui oriente sa réception. Si l'on démontre la fausseté des informations rapportées, il y a donc supercherie sur le contenu même et condamnation, réelle ou symbolique, de la personne. Après que Philippe Labro a avoué en 2007 être l'auteur du récit autobiographique Des cornichons au chocolat (1983), censé avoir été écrit par une jeune fille de 13 ans, le même livre est réédité sous son nom, avec une préface dans laquelle il s'excuse d'avoir trompé ses lecteurs, signe sincère ou non, de la reconnaissance d'une transgression coupable.


Cette table ronde vise à interroger, dans des perspectives nouvelles, les situations de pseudonymie et d'anonymat en littérature et dans les arts francophones du Moyen-Âge à nos jours, ainsi que les limites de ces situations (attributions d'auctorialité, usurpation d'identité, etc.). N'étant pas seulement restreinte à l'analyse de discours, ces perspectives mettront en avant une approche pluridisciplinaire, des situations peu connues et un questionnement renouvelé.


Détails

12 avril 2017

10h - midi

EC 1140

Mount Royal University
4825 Mount Royal Gate SW